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La belle époque...
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La belle époque...
Bonjours,
Je me suis replongé dans un vieux bouquin de mécanique pour rechercher les détails de quelques méthodes de réparations oubliées. Je dois dire que le style en est assez savoureux, qui sent bon la belle époque, et je ne peux résister de vous en donner au cours du temps quelques extraits, ce qui vous permettra de réagir éventuellement à chacun. En voici un premier:
"Méditations préliminaires -
Mauvais propos.
Il y a des méchantes langue qui disent: " L'automobile qui passe est une bête mécanique faite de deux morceaux, et qui se démonte: la machine, le chauffeur."
Chacun de ces morceaux a son caractère, sa volonté et ses manies. Il y a de bons ménages, il n'en est pas de parfaits. La machine, il faut à sa honte l'avouer, a toutes les tendances à toutes les infidélités. Non seulement elle démarre sous la pression du premier pieds venu, quand elle est de bonne humeur; mais, quand l'envie lui en prend, elle met aux abois son cher et propre chauffeur pour une futilité, une poussière, un bout de fil.
Le chauffeur, lui, est généralement un excellent garçon qui aime bien sa machine, mais ne s'entend guère au métier d'amant d'une mécanique. Il est plein de bonne volonté et se mettra les mains au feu pour qu'elle ne l'abandonne pas. Mais elle l'abandonnera tout de même, parce qu'il ne sait pas deviner ses besoins et parce qu'il lui donne de la burette quand elle demande du tournevis.
On voit quelquefois un chauffeur habile faire d'une mauvaise mécanique un instrument présentable; on voit bien plus souvent un chauffeur ignorant transformer une excellente automobile en une rosse métallique."
Je me suis replongé dans un vieux bouquin de mécanique pour rechercher les détails de quelques méthodes de réparations oubliées. Je dois dire que le style en est assez savoureux, qui sent bon la belle époque, et je ne peux résister de vous en donner au cours du temps quelques extraits, ce qui vous permettra de réagir éventuellement à chacun. En voici un premier:
"Méditations préliminaires -
Mauvais propos.
Il y a des méchantes langue qui disent: " L'automobile qui passe est une bête mécanique faite de deux morceaux, et qui se démonte: la machine, le chauffeur."
Chacun de ces morceaux a son caractère, sa volonté et ses manies. Il y a de bons ménages, il n'en est pas de parfaits. La machine, il faut à sa honte l'avouer, a toutes les tendances à toutes les infidélités. Non seulement elle démarre sous la pression du premier pieds venu, quand elle est de bonne humeur; mais, quand l'envie lui en prend, elle met aux abois son cher et propre chauffeur pour une futilité, une poussière, un bout de fil.
Le chauffeur, lui, est généralement un excellent garçon qui aime bien sa machine, mais ne s'entend guère au métier d'amant d'une mécanique. Il est plein de bonne volonté et se mettra les mains au feu pour qu'elle ne l'abandonne pas. Mais elle l'abandonnera tout de même, parce qu'il ne sait pas deviner ses besoins et parce qu'il lui donne de la burette quand elle demande du tournevis.
On voit quelquefois un chauffeur habile faire d'une mauvaise mécanique un instrument présentable; on voit bien plus souvent un chauffeur ignorant transformer une excellente automobile en une rosse métallique."
GMCCCKW352- Résident permanent
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Localisation : Haute Loire
Date d'inscription : 24/03/2013
Re: La belle époque...
Poursuivons cette lecture passionnante:
"La machine:
Les moeurs de la machine sont des plus comiques. Elle fait semblant d'écraser les gens, mais s'arrête à deux millimètres de leur épiderme. Elle s'amuse à jouer au fléau public, si bien qu'il n'y a pas un français aujourd'hui qui n'ait "faillit", même à cent mètres, être laminé par une automobile et qui, pour cette insolence d'une, ne sente le chien de son révolver se lever contre toutes. Mais elle ne lamine que les poulets dans les villages, afin d'apprendre aux survivants que routes ne sont pas basses-cours.
Elle lamie les poulets, mais elle n'en mange point. Elle n'a d'appétit que pour les kilomètres. Quand elle s'en est suffisamment repue, elle s'arrête sans prévenir personne et, campée narquoise sur ses quatre pneumatiques, dit au chauffeur en clignant des deux lanternes: "cherche, mon bonhomme, cherche la panne! Cherche la puce!"
Alors on voit dégringoler du marchepied un pantin généralement costumé en bête de l'Apocalypse, les yeux enfermés dans des culs de bouteilles, qui lève les bras au ciel en signe de désespoir profond, tourne autour de la machine, la palpe indécemment dans tous les plis, parfois s'étend sous son ventre, dans la boue et le crottin... La machine rit à la main qui chatouille, puis subitement se remet en route. Qu'a-t-elle eue? Qu'a-t-elle voulu? Faire une farce à son compagnon peut-être et blaguer son inexpérience. Les automobiles sont de grosses filles plus spirituelles qu'elles n'en ont l'air".
"La machine:
Les moeurs de la machine sont des plus comiques. Elle fait semblant d'écraser les gens, mais s'arrête à deux millimètres de leur épiderme. Elle s'amuse à jouer au fléau public, si bien qu'il n'y a pas un français aujourd'hui qui n'ait "faillit", même à cent mètres, être laminé par une automobile et qui, pour cette insolence d'une, ne sente le chien de son révolver se lever contre toutes. Mais elle ne lamine que les poulets dans les villages, afin d'apprendre aux survivants que routes ne sont pas basses-cours.
Elle lamie les poulets, mais elle n'en mange point. Elle n'a d'appétit que pour les kilomètres. Quand elle s'en est suffisamment repue, elle s'arrête sans prévenir personne et, campée narquoise sur ses quatre pneumatiques, dit au chauffeur en clignant des deux lanternes: "cherche, mon bonhomme, cherche la panne! Cherche la puce!"
Alors on voit dégringoler du marchepied un pantin généralement costumé en bête de l'Apocalypse, les yeux enfermés dans des culs de bouteilles, qui lève les bras au ciel en signe de désespoir profond, tourne autour de la machine, la palpe indécemment dans tous les plis, parfois s'étend sous son ventre, dans la boue et le crottin... La machine rit à la main qui chatouille, puis subitement se remet en route. Qu'a-t-elle eue? Qu'a-t-elle voulu? Faire une farce à son compagnon peut-être et blaguer son inexpérience. Les automobiles sont de grosses filles plus spirituelles qu'elles n'en ont l'air".
GMCCCKW352- Résident permanent
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Localisation : Haute Loire
Date d'inscription : 24/03/2013
Re: La belle époque...
Désolé pour cette longue interruption. La suite de ce texte croustillant:
"Le chauffeur.
Les mœurs du chauffeur sont également fort curieuses. Il se vêt en petit ours l’hiver, en gros bourdon l’été; petit ours ou gros bourdon sur qui alternent le noir du cambouis et le blanc de la poussière; charbonnier-farinier, et fier de l’être.
Car, fier, tou t est fier dans le chauffeur! Par endosmose psychologique très curieuse, il incarne en chair et en os la puissance de son moteur, et, la déchaînant ou la réfrénant par une manette infime, il se persuade naturellement qu’il est cette puissance même, et il s’en gonfle.
L’outrecuidance du chauffeur est directement proportionnelle au nombre des cylindres de sa voiture et à leur alésage. Un quatre cylindre de 100 d’alésage a des gestes de protecteur vis à vis d’un quatre cylindre de quatre-vingts, et des gestes de seigneur insolent vis à vis d’un deux cylindre de quatre-vingt dix, ce mendiant! Je ne suis pas bien persuadé qu ‘un monsieur de 24 chevaux déjeunera volontiers à a même table qu’un monsieur de 4 ½, ce parent pauvre!
L’outrecuidance! Maladie attachée aux coussins même de l’automobile, et qui vous envahit dès qu’on s’y assied! Combien peu d’hommes échappent à ce grotesque!
L’outrecuidance! Voyez comme elle escorte généralement une automobile qui démarre!
Le chauffeur est monté, sérieux, grave, presque solennel, et s’est installé. On va partir, le moteur ronfle. Les compagnons prennent un délicat sourire pour bien persuader aux assistants, et à eux-même, qu’ils n’ont aucunement peur. D’autres pourraient avoir quelque appréhension; mais eux!
Lui, le maître, qui détient au bout des doigts les foudres de son moteur, ne dit pas un mot, et assombrit encore son visage. Il va jouer un rôle: il va embrayer! On va se ranger sur son passage; on va croire qu’il fait une œuvre difficile dont seraient capables bien peu d’humains; on va l’admirer. Il est tout imprégné de responsabilités; il pourrait tuer! Il a des existences humaines plein les bras!
La pression monte ainsi dans sa cervelle et fait de cet homme, parfois si sage et si pondéré quand il est sur ses pieds, un ballon bouffi.
L’outrecuidance! Voyez-la dans le moindre coinc d’une trompe d’automobile!
Aucune image n’est plus divertissante pour un observateur que la figure de certains chauffeurs au moment où ils donnent un coup de trompe. Leur grosse voix s’est faite entendre; ils en attendent l’effet, leur tête s’auréole de majesté.
A ce signal, tout ce qui les gène doit s’évanouir, les piétons disparaîtrent dans les égouts, les voitures [sous entendue hippomobiles ou à bras] s’éclipser sous les portes cochères. Rien ne doit résister au cris du lion; ou bien le lion se fâche!
Et l’outrecuidance amène peu à peu sur les lèvres du public cette définition de l’automobile: « Voiture à panne montée par une figure à claque ».
"
"Le chauffeur.
Les mœurs du chauffeur sont également fort curieuses. Il se vêt en petit ours l’hiver, en gros bourdon l’été; petit ours ou gros bourdon sur qui alternent le noir du cambouis et le blanc de la poussière; charbonnier-farinier, et fier de l’être.
Car, fier, tou t est fier dans le chauffeur! Par endosmose psychologique très curieuse, il incarne en chair et en os la puissance de son moteur, et, la déchaînant ou la réfrénant par une manette infime, il se persuade naturellement qu’il est cette puissance même, et il s’en gonfle.
L’outrecuidance du chauffeur est directement proportionnelle au nombre des cylindres de sa voiture et à leur alésage. Un quatre cylindre de 100 d’alésage a des gestes de protecteur vis à vis d’un quatre cylindre de quatre-vingts, et des gestes de seigneur insolent vis à vis d’un deux cylindre de quatre-vingt dix, ce mendiant! Je ne suis pas bien persuadé qu ‘un monsieur de 24 chevaux déjeunera volontiers à a même table qu’un monsieur de 4 ½, ce parent pauvre!
L’outrecuidance! Maladie attachée aux coussins même de l’automobile, et qui vous envahit dès qu’on s’y assied! Combien peu d’hommes échappent à ce grotesque!
L’outrecuidance! Voyez comme elle escorte généralement une automobile qui démarre!
Le chauffeur est monté, sérieux, grave, presque solennel, et s’est installé. On va partir, le moteur ronfle. Les compagnons prennent un délicat sourire pour bien persuader aux assistants, et à eux-même, qu’ils n’ont aucunement peur. D’autres pourraient avoir quelque appréhension; mais eux!
Lui, le maître, qui détient au bout des doigts les foudres de son moteur, ne dit pas un mot, et assombrit encore son visage. Il va jouer un rôle: il va embrayer! On va se ranger sur son passage; on va croire qu’il fait une œuvre difficile dont seraient capables bien peu d’humains; on va l’admirer. Il est tout imprégné de responsabilités; il pourrait tuer! Il a des existences humaines plein les bras!
La pression monte ainsi dans sa cervelle et fait de cet homme, parfois si sage et si pondéré quand il est sur ses pieds, un ballon bouffi.
L’outrecuidance! Voyez-la dans le moindre coinc d’une trompe d’automobile!
Aucune image n’est plus divertissante pour un observateur que la figure de certains chauffeurs au moment où ils donnent un coup de trompe. Leur grosse voix s’est faite entendre; ils en attendent l’effet, leur tête s’auréole de majesté.
A ce signal, tout ce qui les gène doit s’évanouir, les piétons disparaîtrent dans les égouts, les voitures [sous entendue hippomobiles ou à bras] s’éclipser sous les portes cochères. Rien ne doit résister au cris du lion; ou bien le lion se fâche!
Et l’outrecuidance amène peu à peu sur les lèvres du public cette définition de l’automobile: « Voiture à panne montée par une figure à claque ».
"
GMCCCKW352- Résident permanent
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Re: La belle époque...
J'attends la suite avec envie et appétit !
a+
JP
GORDINI 07- Modérateur
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Re: La belle époque...
excellent
fx43- Résident permanent
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Re: La belle époque...
Dans ces conditions, puisque j’ai un peu de temps, la suite:
« L’attitude du bon chauffeur:
Il est peut être amusant de dire: « Les routes sont à moi parce que je les prends! » et d’ajouter: « Que ceux qui ne veulent pas être écrasés rentrent chez eux et disparaissent de mon domaine! »
Le procédé est joyeux, mais il est enfantin et n’a donc, au point de vue conquérant, que la valeur d’un enfantillage. Les routes, en temps de paix, ne se conquièrent pas de force; elles n’appartiennent pas plus à un homme sur une automobile qu’à une laitière sur un âne - et les conquérants par la brutalité ne réussissent qu’à faire surgir devant eux des barricades infranchissables. Je rappellerai comme preuve la « guerre aux chauffeurs » qui eut lieu il y a trois ans à Paris, et les tendances à l’obstruction que les folies de quelques chauffeurs ont fait naître dans presque toute notre population jadis portée à nous encourager.
Quelle est donc la situation du chauffeur? Tout bien pesé, le chauffeur, dernier venu dans la circulation du pays, ne doit pas être un arrogant; il ne peut et ne doit être, s’il veut qu’on le supporte d’abord et qu’on l’aime ensuite, qu’un modeste. Car le chauffeur doit chercher à se faire excuser, voilà le vrai.
Oui, le chauffeur doit chercher par son attitude, au moins polie sinon aimable, à s’excuser du bruit qu’il fait sur les routes, de la poussière extravagante qu’il y soulève et dont il couvre les haies, de la peur qu’il donne aux chevaux inaccoutumés, de la terreur instinctive qu’il occasionne aux mères, du bouleversement, beaucoup plus grand qu’il ne pense, que son simple passage apporte aux routes et à leurs habitudes!
Il doit se faire excuser aussi de la nouveauté du spectacle qu’il donne. Les hommes sont nativement presque tous ennemis du nouveau, misonéistes, parce que le nouveau, c’est l’inconnu, c’est l’ennemi. Un individu qui ne se voiture pas comme se voiturait son grand-père et son père est un être pour le moins bizarre, antipathique, un trouble-coutumes; pour beaucoup, un déséquilibré; pour quelques uns, fils du Xvième égarés dans le Xxième, un sorcier ou peu s’en faut!
IL doit se faire excuser encore, et peut-être surtout, du grand égoïsme du spectacle qu’il donne; se faire excuser d’être riche, de prendre un plaisir envié de presque tous ceux qu’il rencontre, mais que presque aucun ne pourra jamais s’offrir.
Il doit se faire excuser d’être une exception dans la circulation, une exception dont la satisfaction ou la joie ne va pas sans un peu ou beaucoup d’ennuies pour les autres.
Quelle doit être son attitude? Simplement celle d’un homme ben élevé, car j’ai tristesse à constater que l’automobile, abreuvant l’homme d’une des boissons les plus capiteuse qui soit, la vitesse, le gavant d’oxygène, de paysages, de spectacles toujours nouveaux, le rendant tout à coups à la nature et au naturel, lui fait parfois oublier l’urbanité que la civilisation lui a apprise. L’automobile a des joies âpres, extrêmement intenses, et que certains cerveaux semblent supporter assez mal. Les psychologues en pourront disserter.
L’homme qui demeure bien élevé, toujours son maître, ne traverse pas un village comme une locomotive échappée; parce qu’il sait que l’enfant, le chien, la poule de son prochain peuvent être écrasés, et que le prochain est, fut-il un voleur ou un mendiant, aussi respectable dans ses intérêts que lui-même. Il n’y a pas de sommes d’argents qui puissent réparer ces fautes contre la conscience sociale, et, à mon avis l’homme qui les commets de sang froid en demeure toujours un peu taché.
L’homme bien élevé tient à cœur de ne pas provoquer volontairement la répulsion. Il doit donc réagir de son mieux contre la prévention des campagnards qui voient en tout chauffeur une bête nuisible. Il arrête sa voiture dès que le cheval qu’il va croiser témoigne sa frayeur, au besoin arrête son moteur, et descend prendre la bête par la bride. C’est la conduite d’une brute, en ce cas, de passer coûte que coûte; et, si un accident survient, c’est celle d’un criminel que de s’enfuir. Appelons un chat un chat, nous ne sommes pas réunis sur ce livre pour échanger des madrigaux. »
LA suite sera plus drôle que ce passage, et traitera du choix d’une voiture.
« L’attitude du bon chauffeur:
Il est peut être amusant de dire: « Les routes sont à moi parce que je les prends! » et d’ajouter: « Que ceux qui ne veulent pas être écrasés rentrent chez eux et disparaissent de mon domaine! »
Le procédé est joyeux, mais il est enfantin et n’a donc, au point de vue conquérant, que la valeur d’un enfantillage. Les routes, en temps de paix, ne se conquièrent pas de force; elles n’appartiennent pas plus à un homme sur une automobile qu’à une laitière sur un âne - et les conquérants par la brutalité ne réussissent qu’à faire surgir devant eux des barricades infranchissables. Je rappellerai comme preuve la « guerre aux chauffeurs » qui eut lieu il y a trois ans à Paris, et les tendances à l’obstruction que les folies de quelques chauffeurs ont fait naître dans presque toute notre population jadis portée à nous encourager.
Quelle est donc la situation du chauffeur? Tout bien pesé, le chauffeur, dernier venu dans la circulation du pays, ne doit pas être un arrogant; il ne peut et ne doit être, s’il veut qu’on le supporte d’abord et qu’on l’aime ensuite, qu’un modeste. Car le chauffeur doit chercher à se faire excuser, voilà le vrai.
Oui, le chauffeur doit chercher par son attitude, au moins polie sinon aimable, à s’excuser du bruit qu’il fait sur les routes, de la poussière extravagante qu’il y soulève et dont il couvre les haies, de la peur qu’il donne aux chevaux inaccoutumés, de la terreur instinctive qu’il occasionne aux mères, du bouleversement, beaucoup plus grand qu’il ne pense, que son simple passage apporte aux routes et à leurs habitudes!
Il doit se faire excuser aussi de la nouveauté du spectacle qu’il donne. Les hommes sont nativement presque tous ennemis du nouveau, misonéistes, parce que le nouveau, c’est l’inconnu, c’est l’ennemi. Un individu qui ne se voiture pas comme se voiturait son grand-père et son père est un être pour le moins bizarre, antipathique, un trouble-coutumes; pour beaucoup, un déséquilibré; pour quelques uns, fils du Xvième égarés dans le Xxième, un sorcier ou peu s’en faut!
IL doit se faire excuser encore, et peut-être surtout, du grand égoïsme du spectacle qu’il donne; se faire excuser d’être riche, de prendre un plaisir envié de presque tous ceux qu’il rencontre, mais que presque aucun ne pourra jamais s’offrir.
Il doit se faire excuser d’être une exception dans la circulation, une exception dont la satisfaction ou la joie ne va pas sans un peu ou beaucoup d’ennuies pour les autres.
Quelle doit être son attitude? Simplement celle d’un homme ben élevé, car j’ai tristesse à constater que l’automobile, abreuvant l’homme d’une des boissons les plus capiteuse qui soit, la vitesse, le gavant d’oxygène, de paysages, de spectacles toujours nouveaux, le rendant tout à coups à la nature et au naturel, lui fait parfois oublier l’urbanité que la civilisation lui a apprise. L’automobile a des joies âpres, extrêmement intenses, et que certains cerveaux semblent supporter assez mal. Les psychologues en pourront disserter.
L’homme qui demeure bien élevé, toujours son maître, ne traverse pas un village comme une locomotive échappée; parce qu’il sait que l’enfant, le chien, la poule de son prochain peuvent être écrasés, et que le prochain est, fut-il un voleur ou un mendiant, aussi respectable dans ses intérêts que lui-même. Il n’y a pas de sommes d’argents qui puissent réparer ces fautes contre la conscience sociale, et, à mon avis l’homme qui les commets de sang froid en demeure toujours un peu taché.
L’homme bien élevé tient à cœur de ne pas provoquer volontairement la répulsion. Il doit donc réagir de son mieux contre la prévention des campagnards qui voient en tout chauffeur une bête nuisible. Il arrête sa voiture dès que le cheval qu’il va croiser témoigne sa frayeur, au besoin arrête son moteur, et descend prendre la bête par la bride. C’est la conduite d’une brute, en ce cas, de passer coûte que coûte; et, si un accident survient, c’est celle d’un criminel que de s’enfuir. Appelons un chat un chat, nous ne sommes pas réunis sur ce livre pour échanger des madrigaux. »
LA suite sera plus drôle que ce passage, et traitera du choix d’une voiture.
GMCCCKW352- Résident permanent
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Re: La belle époque...
Très joli et tellement vrai encore aujourd'hui.
Comistic.
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Re: La belle époque...
La suite:[entre crochets: mes commentaires perso...]
"Du choix d'une voiture
La voiture la plus rapide n'est pas celle qui parcourt le plus de kilomètres dans une heure. C'est celle qui s'arrête le moins souvent.
La voiture la moins chère n'est pas celle dont le prix d'achat est le plus bas. C'est celle qui ignore le plus les réparations.
Guidez votre choix d'abord sur vos besoins. La grande voiture seule donne le confort et la vitesse inoffensive. Mais, pour un petit service quotidien, pour de menus déplacements rapides - un tour de manivelle, et l'on part! - pourquoi prendre ce train? Un poney fera bien mieux votre affaire.
Voyagez-vous à quatre bons gaillards avec des bagages? Ne vous ensardinez pas dans une voiturette. La voiturette est délicieuse pour une balade d'amoureux, conduite de la main droite ou de la main gauche [mais que fait l'autre main?], qui se mettent volontairement en panne près des fourrés; pour un jeune couple avec deux bambins,; pour un notaire et son clerc [les fourrés aussi?]; pour un médecin...
Guidez votre choix ensuite sur vos moyens. Mais sachez comprendre que, si réels que soient les progrès de notre industrie, jamais une petite voiture de 4000 francs n'aura la tenue, la résistance, la "capacité de voyage", l'assouplissement à toutes les épreuves que possède une voiture de 10 000 ou 15 000 francs.
Etablissez enfin votre choix sur des considérations sérieuses et des conseils sincères. N'ayez pas, comme tant de débutants, la légèreté de vous éprendre d'une automobile pour la couleur de sa caisse; c'est tomber amoureux d'une femme pour sa robe. Choisissez de nos jours une automobile comme à l'époque romaine vous eussiez acheté une esclave, nue; il ne manquera pas de bons carrossiers pour l'habiller.
Jugez de la valeur d'une maison de construction, petite ou grande, par un critérium infaillible: sa correspondance. Si vos demandes ne reçoivent réponse que tardivement et incomplètement, battez en retraite. Le désordre ne se localise jamais à un seul service, mais entache toujours la totalité d'un établissement. Piètres lettres, piètres pièces. La voiture qu'on vous fournira sera très soignée en dix points, très négligée dans les autres. Les pièces de rechange que vous solliciterez par télégrammes vous parviendront avec cinq jours de retard, et la moitié ne s'adaptera pas à votre voiture... Portez votre commande ailleurs.
Gardez-vous bien de l'automobile sur mesures! N'achetez jamais qu'une voiture de série, c'est à dire d'un type tirée à cinquante ou cents exemplaires identiques, longuement étudiés, éprouvés, confirmés, à la marche certaine, aux pièces interchangeables, à la revente assurée.
Ne méprisez pas la voiture d'occasion, mais seulement si le propriétaire vous est connu comme homme de soins. L'automobile de marque gagne à vieillir un peu en de bonnes mains. Un moteur bien mené pendant un an, assoupli par le travail et assagi par la peine, bat sans difficulté son frère descendu la semaine précédente du banc d'essai.
Différemment, craignez les maquignons de la mécanique. Ils vous vendront pour six chevaux un moteur de deux ânes et pour voiture soignée un peu de ferraille montée sur des pneumatiques truqués.
"Du choix d'une voiture
La voiture la plus rapide n'est pas celle qui parcourt le plus de kilomètres dans une heure. C'est celle qui s'arrête le moins souvent.
La voiture la moins chère n'est pas celle dont le prix d'achat est le plus bas. C'est celle qui ignore le plus les réparations.
Guidez votre choix d'abord sur vos besoins. La grande voiture seule donne le confort et la vitesse inoffensive. Mais, pour un petit service quotidien, pour de menus déplacements rapides - un tour de manivelle, et l'on part! - pourquoi prendre ce train? Un poney fera bien mieux votre affaire.
Voyagez-vous à quatre bons gaillards avec des bagages? Ne vous ensardinez pas dans une voiturette. La voiturette est délicieuse pour une balade d'amoureux, conduite de la main droite ou de la main gauche [mais que fait l'autre main?], qui se mettent volontairement en panne près des fourrés; pour un jeune couple avec deux bambins,; pour un notaire et son clerc [les fourrés aussi?]; pour un médecin...
Guidez votre choix ensuite sur vos moyens. Mais sachez comprendre que, si réels que soient les progrès de notre industrie, jamais une petite voiture de 4000 francs n'aura la tenue, la résistance, la "capacité de voyage", l'assouplissement à toutes les épreuves que possède une voiture de 10 000 ou 15 000 francs.
Etablissez enfin votre choix sur des considérations sérieuses et des conseils sincères. N'ayez pas, comme tant de débutants, la légèreté de vous éprendre d'une automobile pour la couleur de sa caisse; c'est tomber amoureux d'une femme pour sa robe. Choisissez de nos jours une automobile comme à l'époque romaine vous eussiez acheté une esclave, nue; il ne manquera pas de bons carrossiers pour l'habiller.
Jugez de la valeur d'une maison de construction, petite ou grande, par un critérium infaillible: sa correspondance. Si vos demandes ne reçoivent réponse que tardivement et incomplètement, battez en retraite. Le désordre ne se localise jamais à un seul service, mais entache toujours la totalité d'un établissement. Piètres lettres, piètres pièces. La voiture qu'on vous fournira sera très soignée en dix points, très négligée dans les autres. Les pièces de rechange que vous solliciterez par télégrammes vous parviendront avec cinq jours de retard, et la moitié ne s'adaptera pas à votre voiture... Portez votre commande ailleurs.
Gardez-vous bien de l'automobile sur mesures! N'achetez jamais qu'une voiture de série, c'est à dire d'un type tirée à cinquante ou cents exemplaires identiques, longuement étudiés, éprouvés, confirmés, à la marche certaine, aux pièces interchangeables, à la revente assurée.
Ne méprisez pas la voiture d'occasion, mais seulement si le propriétaire vous est connu comme homme de soins. L'automobile de marque gagne à vieillir un peu en de bonnes mains. Un moteur bien mené pendant un an, assoupli par le travail et assagi par la peine, bat sans difficulté son frère descendu la semaine précédente du banc d'essai.
Différemment, craignez les maquignons de la mécanique. Ils vous vendront pour six chevaux un moteur de deux ânes et pour voiture soignée un peu de ferraille montée sur des pneumatiques truqués.
GMCCCKW352- Résident permanent
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Re: La belle époque...
La suite...
"Des rapports avec la machine:
Connaissez-la dans ses moindres organes et visitez-la souvent; elle vous sera fidèle. Abandonnez-la complètement à des mains étrangères, même dévouées, même expertes; elle fera de vous le plus trompé des chauffeurs.
Car toute cette mécanique réclame l'oeil du maître. Donnez-le lui fréquement, à défaut de la main qui serait meilleure, mais qui répugne souvent à se salir.
Ne négligez nulle pièce, si modeste et timide soit-elle, car toute pièce a dans sa substance une vengeance qui sommeille.
Négligence même minime n'est jamais ici pardonnée. Le dédain que vous aurez eue un jours pour une petite bielle de deux sous qui ne vous demandait qu'une goutte d'huile, vous acheminera, de kilomètre en kilomètre, à un grippage subit, en rase campagne naturellement, et loin de tous secours...
Car, mon pauvre monsieur, c'est la petite bielle qui se révolte et qui peut-être - passe-moi le jeu de mots - s'en tord!
"pour une goutte d'huile, une! C'est idiot!" clamez-vous.
Que je suis de votre avis! Mais les lois mécaniques sont inviolables; l'égalité la plus absolue règne entre les organes, et toute la société s'arrête si les plus petites pièces n'ont pas leur huile quotidienne comme les grosses. Notre grande Société n'est pas si parfaite, et tout le vrai socialisme est cependant là."
"Des rapports avec la machine:
Connaissez-la dans ses moindres organes et visitez-la souvent; elle vous sera fidèle. Abandonnez-la complètement à des mains étrangères, même dévouées, même expertes; elle fera de vous le plus trompé des chauffeurs.
Car toute cette mécanique réclame l'oeil du maître. Donnez-le lui fréquement, à défaut de la main qui serait meilleure, mais qui répugne souvent à se salir.
Ne négligez nulle pièce, si modeste et timide soit-elle, car toute pièce a dans sa substance une vengeance qui sommeille.
Négligence même minime n'est jamais ici pardonnée. Le dédain que vous aurez eue un jours pour une petite bielle de deux sous qui ne vous demandait qu'une goutte d'huile, vous acheminera, de kilomètre en kilomètre, à un grippage subit, en rase campagne naturellement, et loin de tous secours...
Car, mon pauvre monsieur, c'est la petite bielle qui se révolte et qui peut-être - passe-moi le jeu de mots - s'en tord!
"pour une goutte d'huile, une! C'est idiot!" clamez-vous.
Que je suis de votre avis! Mais les lois mécaniques sont inviolables; l'égalité la plus absolue règne entre les organes, et toute la société s'arrête si les plus petites pièces n'ont pas leur huile quotidienne comme les grosses. Notre grande Société n'est pas si parfaite, et tout le vrai socialisme est cependant là."
GMCCCKW352- Résident permanent
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Date d'inscription : 24/03/2013
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